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ORGUE DE BARBARIE 

Jihel, l'orgue de barbarie et l'art dernier.

 

 

Une formule pourrait résumer la belle vie artistique de JIHEL "Il n'est jamais là où on l'attend"En effet c'est en pleine gloire avec des commandes par-dessus la tête qu'il laisse choir crayons, pinceaux, peinture, encre et tamis pour se remettre en question et se frotter à la sculpture monumentale et au chalumeau ; adulé à Paris, il part à la conquête des Amériques. C'est ça JIHEL, une passerelle entre la vie réelle et une autre projetée, faite d'introspection et de résurrection, de voyages et de découvertes.Mais parlons de mon sujet de prédilection et surtout de collection, l'orgue de barbarie. Cet instrument avec sa musique d'un autre temps a vraiment captivé JIHEL, il s'en est emparé pour nous le servir très souvent et je dois le dire d'une manière bien agréable, en somme il lui rend ses lettres de noblesse en nous racontant maintes petites histoires souvent incroyablement complexes dans leurs mises en scène et parfois même dans leur compréhension quand elle touche la philosophie qui est chère à notre artiste, des pans de vie, sociale politique ou historique qui bout à bout déroulent des déclinaisons de l'histoire du monde pas toujours d'ailleurs comme on le souhaiterait.Des mauvais coucheurs diront "Il y en a trop". Si on regarde sa production comptant des dizaines de milliers de dessins sur plus de quarante ans, l'orgue de barbarie est une goutte d'eau dans la mer de ses créations, alors relativisons. Pour ma part je trouve qu'il n'y en a pas assez et je voudrais bien le retour de cet artiste sur la scène de la satire, je me rends compte que je ne suis pas le seul à le demander et à le souhaiter, les salons bruissent sur un retour, alors espérons qu'il entende là où il est, nos suppliques de collectionneurs avides de voir de nouveaux dessins fleurir dans nos classeurs.Il faudra un jour reprendre toutes les citations de Jihel parsemées dessin après dessin ; j'en ai trouvé de fabuleuses liées à l'orgue de barbarie mais elles sont nombreuses et parfois croustillantes sur tous types de dessins, plusieurs livres aussi peuvent nous en donner l'occasion, le livre de Mill Reinberg et ceux de Fred Zeller, lui qui racontera dans un de ses livres que Jihel partant toujours après minuit à sa table de dessin disait "Je vais allumer la nuit". Je trouve cela très beau, en attendant il allume et valorise de nombreuses collections du monde entier.Chaque personnage sorti de la nuit créatrice de notre artiste se retrouve avec son instrument de musique mécanique, Guillaume II qui revient très souvent et la danseuse Cléo de Mérode puis en vrac, Léopold II, Beethoven, le tsar Nicolas II, Richepin, Talleyrand, les Mounet, Réjane, Polaire, Sarah Bernhardt etc etc...Je crois que JIHEL n'a pas vécu à la bonne époque car à énumérer ces noms de personnalités, il aurait pu être dessinateur à l'assiette au beurre sans aucun problème (Journal anarchiste du début du siècle dernier) Mais il y a aussi les pieds nickelés, Hugo Pratt ou des maires et des députés dans les villes ou il a trainé sa bohème et sa révolte, beaucoup ont encore des bleus à leur mandature, on en rigole à présent car le temps est passé mais sur l'instant on peut dire que l'on ne savait pas trop que faire avec cet agit-prop libertaire. Jean Marie CAMBACERES ancien conseiller de Mitterrand, me disait un jour lointain sur la place de Sommières qu'il valait mieux être son ami, pourtant lui aussi a souffert de la mine de plomb de Jihel.Ce qui me plait beaucoup chez JIHEL ce sont ses ajouts de texte, on a l'impression souvent que le format est trop petit pour contenir tout ce qu'il a à dire, tout le monde parle, les animaux divers omniprésents, chat, chouette, souris, araignée etc, même sa signature donne son avis quelquefois. Dans les textes de l'auteur, l'orgue de barbarie est souvent appelée de noms peu communs sortis de son imagination, la machine à vent, le soufflet à musique, la boite à courant d'air, le caisson à soufflet, la boite à tuyaux, le carton à sifflet, le cageot à vent, l'éventail à soufflets, la boite à perdition, etc, des noms inventés par l'auteur que même le dictionnaire de l'argot ne connaît pas. Les dessins les plus hilarants se trouvent dans une série intitulée "Dessins d'humour" et là on peut voir un bel ensemble avec des orgues de barbarie en position humaine prendre la place du personnage et discuter allégrement entre elles pour juger le monde qui les entoure, une satire de très haut niveau pour qui sait se glisser furtivement dans la pensée de l'auteur.Ma collection est riche sur ce thème de plus de 300 dessins de Jihel, quelques-uns en noir et blanc mais la plus grande partie est en couleur, ces couleurs à la fois chatoyantes mais également agressives. Au final Jihel semble avoir eu en parallèle deux types de création, l'une très journalistique avec des publications satiriques en noir et blanc sur un suivi de la politique au jour le jour avec des caricatures d'actualité, puis un autre type de création avec entre autres ces dessins de la fameuse période rouge dont on entend parler dans les expositions ou salons de collectionneurs car souvent méconnues. Fabien ZELLER son biographe attitré dira d'ailleurs que cette période est la période philosophique de l'artiste. Un autre artiste dont il était très proche Mill Reinberg dira dans son livre, je cite : « Il faut laisser ouverte l'interprétation d'un dessin de Jihel pour que son idée se termine dans la tête de celui qui la regarde. » Excellentissime, c'est d'ailleurs ce que je fais très souvent, mais pas toujours car j'aime bien savoir ce qui se cache derrière le crayon de l'auteur, pas vraiment facile quelquefois tellement cette pensée est torturée.Parmi mes dessins sur l'orgue de barbarie de ce créateur, j'en ai de nombreux avec le diable, je me suis longuement posé la question, pourquoi ? Je crois avoir trouvé un début de réponse, le célèbre penseur anarchiste BAKOUNINE a dit "Satan est l'éternel révolté, le premier libre penseur et l'émancipateur du monde" je trouve que ça colle parfaitement avec la démarche symboliste et politique de JIHEL, c'est sans doute aussi pour cela que Talleyrand surnommé le diable boiteux a tellement trituré les méninges de notre dessinateur.La mort est également omniprésente dans ses dessins, je me souviens d'un passage du livre de Reinberg qui disait que Jihel créant écoutait "La mort" de Léo Ferré en boucle et qu'il avait un esprit suicidaire, au sens propre ou au sens figuré ?J'ai réalisé avec les dessins de cet artiste de nombreuses expositions sur l'orgue de barbarie qui ont toujours eu un succès exceptionnel, les visiteurs passant des heures devant les panneaux, me questionnant sans cesse surtout comment se procurer ses dessins ce qui je crois est chose impossible à l'heure actuelle, me demandant à rencontrer l'artiste. Malheureusement et je le regrette je n'ai jamais eu la présence en chair et en os de JIHEL, je crois bien ne pas être le seul dans ce cas. Son agent donne toutes les autorisations que l'on veut mais impossible d'avoir l'artiste pour une dédicace ou un vernissage.Jihel est membre fondateur de l'art uchroniste, d'accord mais je trouve qu'il faudrait inventer un autre nom pour le courant artistique qu'il a développé pendant plus de quatre décennies. C'est un satiriste hors norme qui déboite l'idée même de la caricature, nous sommes les témoins vivants d'un art difficile à nommer, déclinaison un peu folle d'un art dernier ou du non-art. Jihel a lui-même employé ces expressions à plusieurs reprises dans ses oeuvres en contre-idée de l'art premier dont il est un fervent amateur, histoire de boucler un temps qui n'a plus grand chose à dire et à nous apprendre.Ses dessins laissent peu de gens indifférents, mais autant il sera doué pour nouer autour de lui des amitiés dans les cercles artistiques, intellectuels ou politiques, autant par sa radicalité il va se créer des jalousies et des inimitiés sévères dans ces mêmes cercles. Jihel avait bien compris plus que tout autre que le dessin est une arme, en multipliant ainsi les images il s'insère au plus profond des collections thématiques dont la mienne. J'ose l'avouer ici, cet artiste aurait pu rester un parfait inconnu pour moi s'il n'avait pas croqué cet instrument de musique qu'est l'orgue de barbarie, je dois dire qu'un artiste majeur serait passé à côté de moi sans bruit, alors que là je vais chercher plus loin dans tel ou tel texte une signification à des défauts de notre société, c'est cela que l'on appelle sans se tromper le talent, nous avons devant nous un grand Monsieur, chapeau bas.J'ai passé des heures dans la galerie à ciel ouvert de l'auteur de ce site, c'est vraiment exceptionnel, j'y viens pratiquement tous les jours sans me lasser un seul instant, un grand merci à Talleyrand qui a permis cet accrochage des œuvres de Jihel ici rassemblées, la possibilité de grossir l'image est un plus non négligeable pour beaucoup de dessins à texte.Que cet écrit prenne date pour dans dix ans, trente ans ou un siècle, nous sommes les conservateurs inconscients d'un génie du non-art, maillon fragile de l'art dernier.

 

Herbert G. CONTRATTO-PALIS.

Ethnologue de l'Afrique noire. 




 

JIHEL, le philosophe créatif et l'orgue de Barbarie.



Un instrument de musique revient inlassablement dans l'écriture dessinée de Jihel, l'orgue de barbarie, en bien ou en mal, cet instrument est omniprésent. De Jules Verne à Hugo Pratt, de Guillaume II à Cléo de Mérode, personne n'y échappe et je me trouve devant une étude intéressante sur le pourquoi du comment.Je vais dresser un portrait général de cet artiste, un peu comme je le vois moi, car tout ou presque a été dit sur lui.J'ai commencé par lire toutes les biographies existantes sur Jihel, sur internet bien sûr mais aussi dans différents ouvrages d'érudition, dictionnaire ou revues, puis j'ai épluché ses dessins de la plus simple caricature jusqu'à ses planches philosophiques et écrits pamphlétaires , c'est peu de dire que Jihel est un personnage envoûtant, c'est un esprit vif et intelligent à n'en point douter. Il jongle du dessin à l'écriture avec une aisance sans pareil au point que l'on est en droit de se demander, mais qui est Jihel ? Un satiriste, un philosophe ? Quelle dextérité pour sauter de l'un à l'autre, j'ai une réponse, elle vaut ce qu'elle vaut, ce créateur en s'interrogeant, en nous questionnant est un penseur de son époque, plus qu'un philosophe, il est le philosophe pictural, celui par qui l'image supplée le texte, alors, se trouve l'ambiguïté de Jihel , les phrases ne lui suffisent pas, il veut aller plus loin que les mots, il creuse l'imaginaire pour leur donner un sens, un air créatif. Philosophe créatif est donc ma définition.J'ai eu l'occasion de brasser des milliers de dessins de ce créateur, rien n'est anodin, tout s'explique, tout se tient, nous avons affaire à un génie et le temps lui rendra grâce alors qu'il se refuse depuis longtemps à toutes distinctions, qu'il se nie lui-même et dit être un ouvrier, un artisan, et écarte de la main toute rétrospective ou conférence et refuse toute interview. J'ai vainement essayé de rentrer en contact avec lui, porte close, il vit dans la nuit de son esprit derrière ce lourd rideau noir de ses révoltes, il est dans cette mort annoncée qui tarde encore, on le ressent très vite, c'est récurrent.Un échange de mails épistolaires m'a donné carte blanche avec cette phrase à la clef "J'ai toujours pris le risque de me tromper, toute ma vie, à votre tour à présent" Facile mais déroutant, il laisse dire, il ne corrige pas, jamais. Il existe donc des erreurs dans ses bios, il s'en fiche. Il me dira "On me prête beaucoup, je ne rends jamais la monnaie" Il me dira aussi "Si vous pouviez éviter ma vie privée, ce serait bien pour ceux qui m'accompagnent " Dont acte.Avec trois gros collectionneurs de l'œuvre de Jihel et l'affichage de ses dessins sur internet, j'ai donc entrepris cette étude dont le premier volet porte sur cet instrument de musique si cher à notre artiste. J'ai dit premier volet car je tente une seconde étude puis certainement une troisième.L'histoire de l'orgue de barbarie débute dans la petite enfance de Jacques, natif de Périgueux, il passera cette enfance et son adolescence entre Périgueux, Bordeaux et Limoges. Dans la cité de la porcelaine alors qu'il est très jeune ses parents s'installent dans le quartier Saint Martial sur les bords de la Vienne, enfant unique, les distractions sont rares, entre les études et la lecture, sa mère dont le sens du beau est très développé veille sur lui et lui donne le goût des belles choses, elle l'éveille très tôt à de multiples disciplines artistiques dont le dessin, la sculpture de l'argile et la peinture, elle l'incitera plus tard dans cette voie en lui permettant des études artistiques parallèles. Outre la fréquentation assidue d'ateliers de décors sur porcelaine, il s'initiera aussi très tôt à la fabrication des émaux, mais une brûlure sévère avec du plomb lui fit renoncer à cette discipline, il se dirigea alors vers le dessin de mode fortement encouragé par sa mère, très doué, il dessina des modèles de rêve dont j'ai pu avoir accès par un collectionneur d'originaux. Il est vraiment dommage que ces modèles n'aient pas pris forme et qu'un couturier ne se soit pas penché dessus.Il voue un culte à sa mère au point qu'il la représentera de nombreuses fois sur ses dessins et en parlera également dans de nombreux textes, à contrario son père semble ne pas exister. Il restera muet sur ce dernier.Pour le plus grand bonheur de Jacques, un musicien ambulant joueur d'orgue de barbarie est son voisin, la musique qui s'échappe de la maison d'à côté est une récréation pour le tout jeune enfant, le bric-à-brac dans lequel vit ce musicien aussi, car notre homme est également un peu brocanteur et accumule nombres de vieilles choses, jouets ou livres, un paradis pour Jacques qui y passera la plupart de ses jeudis et dimanches. Ce musicien qui se faisait appeler "Le père peinard" était aussi un anarchiste notoire, le petit Jacques que l'on appelait "Jacky" (Il n'aimait pas) y fera certainement un apprentissage qui le fera grandir trop vite, il gardera toujours en lui une grande tristesse et une vision malsaine du monde, il se refermera sur les livres et oubliera de s'amuser comme un enfant de son âge. Je suis convaincu que cette enfance est la matrice de ses créations. La mélancolie qui se dégage de ses textes est percutante, on perçoit toujours le jour d'après, jamais celui d'avant, mon intitulé de philosophe créatif prend alors tout son sens.

 

Arthur JOYCE

Montmartre   
La subversion des mots
série 6 cartes

Divers

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